Voici des mois que les affaires de plagiat se succèdent dans l’actualité avec une régularité métronomique : PPDA, Houellebecq, Macé-Scaron, Gallimard et dernièrement l’inventive Rama Yade et ses « citations libres« … sans compter la psychose qui règne autour de cette question en milieu scolaire et universitaire…
A vrai dire, écrire sur cette question ne me tentait pas tellement jusqu’à ce que moi aussi (enfin, presque dirais-je !), j’ai fini par me demander si je n’avais pas été victime d’un plagiat ! Paradoxal, me direz-vous, pour un blogueur qui publie en ligne sous licence Creative Commons, et la plus ouverte qui soit : CC-BY (Attribution)…
Mais si je permets librement la réutilisation et la modification de mes écrits, y compris à des fins commerciales, j’ai conservé par le biais de cette licence l’obligation de me citer comme auteur des textes que je produis (droit de paternité, composante de base du droit moral). Or c’est au sujet du respect de cette exigence que l’ombre d’un doute m’a saisi, en lisant un papier où je ne me serais jamais attendu à retrouver des éclats de S.I.Lex !
Ce petit cas pratique personnel est intéressant, me semble-t-il, pour montrer toute l’ambiguïté de la notion de plagiat et la manière dont s’imbriquent inextricablement en la matière les questions juridique et déontologique. Pour montrer aussi que le droit d’auteur n’est peut-être pas la meilleure protection contre le plagiat…
Le 10 septembre dernier, j’avais écrit un billet « A qui appartient le Haka des All Blacks ?« , dans la série des Copyright Madness, pour relater l’histoire de cette tribu maori qui revendique un droit de propriété intellectuelle sur le chant guerrier des rugbymens néo-zélandais. Deux semaines plus tard, alors que j’essayais de tuer le temps comme je pouvais entre deux stations de métro, mes yeux tombaient sur un éditorial de l’hebdomadaire gratuit A nous Paris, intitulé Akièlehaka et signé Carine Chenaux, rédactrice en chef du Magazine (n°534 du 26 septembre).
L’édito s’ouvre sur l’évocation des journées du patrimoine qui venaient d’avoir lieu et sur l’importance que les français accordent au patrimoine bâti (monuments…) par rapport au patrimoine immatériel (langue, gastronomie, etc). Puis, il bifurque en remarquant que la chose n’est pas identique dans tous les pays, et notamment en Nouvelle Zélande, où le haka représente le fleuron du patrimoine national. Et c’est la suite qui a commencé à me faire tiquer :
« […] d’aucuns, peut-être un brin jaloux de son impact, mais aussi fatigués à force cris, de langues pendantes et d’yeux exorbités, explosent en affirmant, à l’instar de Peter de Villers, désormais entraîneur de l’Afrique du Sud, que « trop de haka tue le haka ». Peut-être pas faux surtout si l’on considère que celui-ci, après avoir été réinterprété par les Spice Girls en leur temps, fait aujourd’hui l’objet de nombre publicité (l’une d’elles, mettant en scène des personnages Lego, toujours à voir sur YouTube, est malgré tout, remarquablement jubilatoire). Une utilisation à outrance qui n’est pas non plus du goût de la tribu maori Ngati Toa, qui s’est prévalue de sa propriété intellectuelle et qui est tout de même parvenu à obtenir, il y a peu, une poignée de prérogatives à son sujet. Désormais, oui, les All Blacks peuvent toujours l’utiliser, de même que les néo-zélandais lambda, tout comme n’importe quelle personne qui n’en ferait pas un usage commercial. Pour cela, dès lors, il faudra gentiment demander une autorisation à la tribu précitée et lui verser au passage quelques deniers. D’aucuns s’en offusquent encore, peu sensibles au fait que le passage par les voies légales ait été nécessaire pour que les descendants de l’inventeur de cette tradition puissent protéger l’héritage de leur arrière-arrière-grand-pépé. C’est que le haka est désormais entré dans le domaine public, mais c’est plus que concevable comme tout patrimoine, il mérite lui-aussi d’être protégé […] ».
Si vous lisez ce passage et allez comparer avec mon billet, vous verrez que la formulation est différente (à un ou deux passages près), tout comme l’angle d’attaque, mais que les idées et informations sont très similaires, tout comme l’est la progression du raisonnement et les exemples choisis.
Sur le coup, j’avoue avoir été assez partagé, car d’un côté j’étais plutôt content que cette histoire soit reprise sur un support lu sans doute par des milliers de personnes, bien au-delà de la sphère que je peux toucher par le biais de ce blog. Par ailleurs, je me suis dit que ce n’est pas tous les jours qu’un hebdomadaire gratuit aborde ce type de sujet, et notamment la question du domaine public, qui me tient particulièrement à coeur.
D’un autre côté, la journaliste ne me citait pas comme source, alors même que son édito comporte un appareil de notes qui lui aurait facilement permis de le faire, et ce faisant, il était possible qu’elle viole la licence Creative Commons que j’utilise. Or, il n’y a à ce jour jamais eu de procès en France mettant en cause ces licences et l’idée m’a traversé l’esprit de saisir cette occasion pour poser une jurisprudence !
Néanmoins, en réfléchissant à deux fois, je me suis demandé dans quelle mesure il y avait ici ou non réellement plagiat, et c’est là que je me suis soudainement retrouvé plongé dans une épaisse brume juridique. En effet, le plagiat n’est pas véritablement une notion juridique en tant que tel, le Code ne connaissant que des contrefaçons, lorsque des composantes du droit d’auteur (droits patrimoniaux et droit moral) sont violées. Les règles de la courte citation posent aussi des limites à ce que l’on peut faire en matière de reprises de contenus.
Mais les juges opèrent une distinction entre les mises en forme originales, qui peuvent être protégées par le droit d’auteur, et les simples idées, qui traditionnellement, ne peuvent faire l’objet d’une appropriation exclusive et demeurent « de libre parcours« .
Or ici, il faut bien reconnaître que la journaliste a, du point de vue technique, bien fait son travail, puisqu’elle a utilisé divers procédés d’écriture, comme le résumé ou la paraphrase, qui lui ont permis d’extraire les idées essentielles de mon texte, sans tomber dans une « citation ». De la même manière, un raisonnement en lui-même n’est pas protégeable, mais seulement la mise en forme qui l’exprime.
Si je voulais même être beau joueur, je devrais reconnaître que son titre « Akièlehaka » est sans doute meilleur que le mien, car plus accrocheur. Donc sur le plan strictement juridique, je dirais que le plagiat en l’espèce est douteux, ou que mes chances seraient assez faibles de faire valoir cette prétention devant un juge.
Reste quand même que sur un plan déontologique, il pourrait être de bon usage qu’un journaliste indique ses sources, même quand celles-ci résident dans un billet de blog. Je me souviens encore avoir « bookmarké » le premier lien concernant cette question de la propriété intellectuelle sur le Haka en 2010 et avoir suivi patiemment cette affaire pendant des mois avant d’écrire ce billet au moment opportun que m’offrait le premier match de la coupe du monde France-Nouvelle-Zélande…
C’est là que l’on voit que le plagiat n’est pas une notion purement juridique, mais qu’il est un jugement moral que nous portons sur des pratiques que nous jugeons contraires à une éthique.
Nina Paley, une artiste que j’ai déjà eue l’occasion d’évoquer dans S.I.Lex, et qui aborde les questions de droit d’auteur d’une manière décapante, va plus loin encore (dans cet article excellentissime) : elle estime que le droit d’auteur est inutile pour lutter contre le plagiat, voire même que c’est le droit d’auteur, en quelque sorte, qui favorise le plagiat (je traduis) :
Quand les gens copient des chansons ou des films, ils ne changent pas le nom de l’auteur. Le plagiat est différent de la copie : c’est un mensonge. Si le droit d’auteur a quelque chose à voir avec le plagiat, c’est en cela qu’il le favorise, en le rendant plus facile (parce que les oeuvres protégées ne sont pas rendues publiques et qu’il est plus facile pour cela de mentir en dissimulant les sources). Le droit d’auteur incite même au plagiat (parce que copier une oeuvre en citant le nom de l’auteur est tout aussi illégal que de la copier sans le faire ; le fait de citer l’auteur peut même être utilisé à charge contre le copieur, car cela prouve qu’il savait que l’oeuvre était protégée).
Cela ne signifie pas que Nina Paley n’est pas attachée au respect de ce qu’elle appelle « l’attribution » des oeuvres aux auteurs, mais elle estime que la régulation des pratiques relèvent avant tout d’un autre système que le droit, qui ressortit plutôt de l’éthique. Elle pense également que la meilleure manière de protéger contre le plagiat est de diffuser largement les oeuvres, de manière à ce qu’elles soient connues et qu’il devienne plus facile de détecter les pratiques déloyales.
Elle a d’ailleurs créé une petite vidéo, avec une chanson pour démontrer son propos :
Elle termine son article en expliquant que selon elle, le plagiat est condamnable, non pas tellement sur le plan juridique, que parce qu’il affecte une communauté, en privant ses membres de remonter à la source de l’information, pour mieux partager ensuite l’information à leur tour (je traduis encore) :
L’attribution est un moyen d’aider votre prochain. Vous ne partagez pas seulement une oeuvre, mais aussi les informations à propos de ces oeuvres qui aident les autres à mener leurs propres recherches et peut-être à trouver davantage d’oeuvres à apprécier. La manière dont on doit aider son prochain est déterminée au sein de chaque communauté par des standards (souvent implicites et non-écrits). Les personnes qui n’aident pas leurs prochains tendent à susciter de la désapprobation. Et ceux qui agissent égoïstement en trompant leurs voisins – les plagiaires – sont détestés et mis à l’écart. Le plagiat n’affecte pas les oeuvres – elles ne ressentent rien et ce qui est fait à une copie n’affecte pas les autres copies. La plagiat affecte des communautés, et c’est en prenant en compte ce caractère collectif que l’on peut déterminer ce qu’on doit accomplir pour attribuer les oeuvres aux auteurs de manière appropriée.
Cette conception communautaire et collective du plagiat me paraît extrêmement intéressante, et je la trouve beaucoup plus riche de sens que celle qui s’ancre dans les canevas individualistes du droit d’auteur, et en particulier du droit moral (exprimant un lien personnel entre l’oeuvre et l’auteur).
C’est un peu la même logique qui est à l’oeuvre sur Twitter avec la pratique du Retweet (RT), voulant que l’on cite le compte des personnes dont on rediffuse des informations à son propre réseau : nullement une obligation juridique, mais une règle de bonne conduite indispensable pour que se constituent des communautés.
Ainsi pour revenir au cas de cet édito de A Nous Paris, il me semble qu’il aurait pu être intéressant pour les lecteurs de pouvoir remonter jusqu’à mon billet, et à partir de celui-ci, rebondir sur les liens que j’insère toujours pour pointer vers mes sources, et au-delà continuer leur chemin sur la toile, en fonction de leurs centres d’intérêts.
Il faut rendre à l’intelligence collective ce qu’elle nous donne (c’est ma devise et pas une citation !).
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